Vacances en Irlande : 10 jours d'aigreur (4)

Publié le par Aigri-man

Jour 4 : Bushmills - Sligo

Après un réveil matinal (faut dire que je m'étais couché à 21h), je constate l'ampleur des dégâts de la veille : une barquette d'alu noyée, pleine de charbon et de cendres, avec encore quelques bouts de chair de poulet accrochés à la grille. Je fourrai bien vite le tout dans un sac poubelle, remarquant au passage le grand rectangle d'herbe carbonisée qui se cachait dessous. Dans un réflexe d'auto-préservation, je le camouflai habilement le temps de faire ma toilette et de ranger ma tente. Adoptant un profil bas (voire ras du sol), je balançai les preuves de mes méfaits dans un container adéquat et filai sans demander mon reste. Je n'en suis pas très fier, mais la honte c'est comme remettre un slip de la veille : désagréable sur le coup mais finalement tout à fait supportable.

Alors le récit de ce quatrième jour va être très rapide, car après un copieux petit-déjeuner à Bushmills, à part rouler je n'ai pas fait grand-chose. J'ai coupé à travers le comté de Donegal, puis j'ai longé la côte, et c'était beau.

Je ne crois pas l'avoir précisé mais ce jour-là il pleuvait. Et en plus il faisait assez froid. Ce qui explique sans doute l'état semi-fiévreux dans lequel je me trouvai, conséquence probable du changement de fuseau horaire conjoint à la brutale modification de mon environnement immédiat, notamment au niveau climatique. Donc je sentais bien que je commençais à me couver un petit rhume bien sympathique, et cette perspective n'était pas pour me réjouir. Surtout que le soir, c'était re-camping, que je n'avais pas réservé car je m'étais dit de manière tout à fait convaincue : « Tiens je me ferai du camping sauvage, ce sera sympa. ». Non, ne dites rien, je sais. J'étais bien naïf (pour ne pas dire bien con).

Or donc, je sentais que ma tête se remplissait doucement et insidieusement de coton (peut-être était-ce toujours cette damnée huile de friture de l'avant-veille qui commençait à se solidifier, telle un bon vieux bloc de Végétaline après trois tournées de frites). Là je me suis dit qu'il était peut-être temps de faire une petite pause, histoire d'ingurgiter une boisson chaude. Pas de la bière donc, parce que ce n'est pas la panacée à tout. Et surtout la bière chaude c'est dégueulasse (ceux qui ont essayé ne me contrediront pas).

Je stoppai donc dans un charmant patelin nommé Ballyboffey. Oui, vous avez bien lu, ce nom est vraiment très moche et ce n'était que le premier d'une longue série de bleds au patronyme affublé du ridicule préfixe « Bally ». Alors vous je ne sais pas, mais instantanément, devant le panneau, j'ai tout de suite pensé à la pittoresque ritournelle qui nous vient directement de la Grèce antique, à savoir Bali-Balo (Bali-Balo dans son berceau, nananana, na na, na na...). Est-ce que vous l'avez bien en tête? De rien, ça me fait plaisir.

Tant bien que mal je trouvai un bar-restaurant-hôtel (apparemment le seul commerce du village, et surtout le seul endroit où l'on pouvait croiser des créatures vivantes) et m'y engouffrait aussitôt, savourant la douce chaleur qui régnait dans l'endroit comme un huissier savoure une traite impayée. Un serveur, m'ayant remarqué, s'approcha de moi et me demanda aimablement ce que je désirais, ce à quoi je répondis un « black coffee », qui signifie un café (mais pas un expresso, hein, un café filtre dans une grande tasse qu'on peut boire en plus de trente secondes sans qu'il soit immédiatement froid).

Après avoir transmis ma commande il me posa une question que je ne compris absolument pas. Je le fis répéter une bonne dizaine de fois, me remémorant le triste épisode du « Youssokay » de sinistre mémoire, espérant ne pas froisser ce brave homme qui témoignait à mon égard d'une curiosité bonhomme dont je n'avais que foutre. Au bout d'un moment qui me parut une éternité je compris enfin l'unique mot qu'il s'obstinait à répéter : « Italian? ». Ah le bon naze, il a confondu ma prestance et mon charisme bien français avec la prétention et la vulgaire extravagance italienne. Je me gaussai intérieurement et le détrompai bien vite, me montrant grand seigneur en l'absolvant de cette erreur, somme toute excusable : ma commande couplée à mon charme ténébreux et insondable l'ayant naturellement abusé. Je dégustai mon café à petites gorgées, savourant la douce chaleur qu'il participait à propager dans mon petit corps malade (Grand Corps Malade étant sous copyright), et une fois requinqué je pus reprendre la route, toujours sous la pluie. Prochaine étape : Sligo, dans le comté de Sligo.

Il me semble important de préciser que je rebaptisai immédiatement la ville et le comté en « Sloggi », qui vous en conviendrez est beaucoup plus rigolo. C'est dans le pub où je pris deux petites pintes, histoire de fêter mon arrivée, que je découvris un sport qui me laissa pour le moins intrigué : le football gaélique. En Irlande en effet, cela fait longtemps qu'on s'est rendu compte que le football c'est chiant. Donc, histoire de pimenter un peu le jeu en plus de jouer au pied on peut jouer à la main, dans une certaine limite. Il y a également deux types de points : ceux marqués dans les cages classiques, avec gardien, filet et tout, et ceux marqués en envoyant le ballon entre les deux immenses poteaux qui surplombent ces mêmes cages, comme quand on transforme un essai au rugby. Ajoutez à cela une propension plus régulière à se coller joyeusement et dans un esprit viril et bon enfant de bons gros pains dans la tronche, et voilà, vous obtenez le football gaélique. J'ai mis un moment à comprendre ce qui se passait, ce qui m'a bien occupé mine de rien.

Ah, et je ne l'ai pas précisé mais ça se passait à la télé, hein, pas directement dans le pub. Non, parce que sinon il y aurait eu plus de monde, moins de tables et un énorme terrain gazonné au milieu. Et ça ne se serait pas appelé un pub, mais un stade.

Comme j'avais un peu de temps je décidai d'explorer un peu la région, qui était connue sous l'affectueux sobriquet (non dénué d'un certain esprit d'à-propos) de « Région des lacs ». Je vois un doigt qui se lève au fond. « Pourquoi Région des Lacs ? » dites-vous. Si vous n'aviez pas une telle tronche de merlan cuit à l'unilatérale votre candeur eut pu être attendrissante, mais là vous méritez juste de rattraper cette hache avec votre front. Voilà, vous pouvez partir maintenant, et merci de pas tacher le tapis en sortant.

Vous l'aurez bien sûr compris par vous-même, la Région des Lacs et une région où il y a des lacs. Bon ben tout est dit. Vous voyez des lacs? Vous voyez les trucs habituels qu'ont voit autour des lacs (genre herbe, forêts, routes, tout ça)? Ben voilà, c'est ça. C'est un peu comme les meurtres rituels : amusant au début, et puis le plaisir de la découverte s'efface progressivement pour laisser place à une certaine indifférence. On apprécie toujours mais le charme n'opère plus.

En plus je ne sais pas si je l'ai déjà dit, mais il pleuvait.

En fait je n'en ai fait qu'un (de lac, pas de meurtre rituel), car je n'avais pas tant de temps que ça. C'était le lac Gill. Comme Grissom dans les Experts, ou comme la monnaie dans Final Fantasy. Mais avec deux « l », donc rien à voir.

Une fois les yeux rassasiés de tant de visions d'eaux diverses je repris la route jusqu'à mon lieu de repos suivant, trouvé sous la rubrique « Où passer une nuit de merte? » de mon Guide du Croûtard : le camping de Sloggy, que j'appellerai à l'avenir le Camping de la Quenelle. « Quoi? Encore une quenelle? » me demanderez-vous inquiets, impatients que je dissipe le nœud d'angoisse qui vient de naître dans votre gorge... Et bien je n'en ferai rien, car « quenelle » n'est point un terme que l'on utilise à la légère et sans motif valable sous peine de violentes réprimandes de la maréchaussée, comme pour « Perché! » et « Cocu! ».

La vile quenelle de ce camping, c'est tout simplement de faire payer 20 euros une simple clé permettant l'accès aux sanitaires (incluant toilettes et douches). Alors, c'est pas de la bonne grosse quenelle, ça, hein? Si.

Autant vous dire que j'ai bien râlé en prenant mes trois douches, et que j'ai fait exprès de manger bien épicé le tout arrosé de bière, histoire de rentabiliser mes voyages aux toilettes. Pask'on me la fait pas, à moi, non mais!

C'est donc aussi rutilant qu'une Renault 5 tunée à un rassemblement de jackys que j'allais me coucher, pas mécontent de moi pour un sou. Mécontent du temps, par contre, puisque pour la première et la dernière fois je fus initié à la principale cause du faible développement du camping en Irlande : la grosse averse qui dure huit heures. Elle existe, je l'ai rencontrée, et par chance j'étais déjà couché quand elle a débuté. Par malchance par contre, je ne dormais pas encore, et autant vous dire que des gouttes d'eau de la taille d'un ballon de foot qui tombent sur une toile de tente bien tendue, ça ne génère pas un environnement sonore des plus propice à une chute dans les bras de Morphée (qui se fait habituellement sans problèmes et en tout bien tout honneur, je tiens à le signaler). Pour faire simple : je n'ai pas très très bien dormi cette nuit-là, même si ce n'est pas uniquement à cause de la météo. D'autres facteurs sont également entrés en compte dans le but avoué de me faire passer une nuit de merte (tenant par-là même la promesse du guide) :

Premièrement : mon duvet. Je n'en ai pas parlé avant parce que j'ai oublié, mais je n'avais pas remarqué en l'achetant que c'était un modèle dit « sarcophage », qui comme son nom le laisse fort justement supposer vous donne l'agréable sensation d'être mort et momifié de par l'incroyable liberté de mouvement qu'il n'offre pas. De plus les concepteurs ont pensé à ajouter une poche-oreiller (que vous pouvez remplir avec ce que vous voulez). En clair ça veut dire que vous dormez sur le dos puisque votre oreiller est fixé sous votre nuque et que vous ne pouvez pas pivoter dans votre sac de couchage.

Deuxièmement : je me suis installé près de la mer. Parce que c'est beau, c'est sympa, et par-dessus tout, c'est bruyant. Et ça donne envie de faire pipi aussi. Par chance le temps horrible a tenu éloignés les beatniks et autres drogués qui arpentent habituellement les plages armés de leur guitare et d'un répertoire musical ringard à souhait (qui leur permet néanmoins systématiquement de se taper les nanas, ce dont je suis fort jaloux).

Troisièmement : vingt euros pour la clé des chiottes, merde!

Publié dans Bla-bla

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