Vacances en Irlande : 10 jours d'aigreur (5)

Publié le par Aigri-man

Jour 5 : Le Connemara – Clifden – Galway

Le lendemain et après une nuit pas reposante du tout j'eus un intense débat avec moi-même : fallait-il vraiment que je m'esquinte la santé à essayer de replier cette tente trempée (il pleuvait toujours en plus), où bien allais-je sans scrupule la bourrer dans la première poubelle venue ? Non parce qu'une tente, quand on la replie mouillée c'est un petit peu comme la vieille tante Ursule : il y a du moisi qui se forme aux articulations et après ça ne sent pas bon, et on ne peut plus l'utiliser. Finalement je décidai de la garder encore un peu, puisque contrairement à la vieille tante Ursule il n'y avait aucun héritage à la clé.

Pas rancunier pour un sou je repassai à l'accueil du camping, histoire de balancer la clé des toilettes dans la tronche du gardien. Et là, quelle ne fut pas ma surprise en le voyant me rendre mes vingt euros qui étaient tout contents de regagner la poche de leur propriétaire légitime. Ah ouais, en fait c'était une caution. En fait il me sembla bien avoir lu un truc dans ce genre la veille... Bon je me sentis un peu bête mais comme ce n'était rien à côté du plaisir indicible que j'avais pris à râler toute la nuit je décidai de faire comme si cet argent ne m'avais pas été restitué. Après tout une longue journée m'attendait et j'avais bien besoin de quelque chose à ruminer en route. J'allais traverser une région chère à Michel Sardou puisque c'est elle qui l'a vu naître : le Connemara.

Alors le Connemara, c'est surtout des paysages. C'est très difficile à décrire, mais il se dégage une impression de majesté écrasante des montagnes rocheuses qui le constituent. Tout semble aride, déchiqueté, la végétation y survit pourtant apparemment sans problème. Les champs sont patrouillés par quelques troupeaux de moutons, qui constituent sans doute des gangs de dealers de laine se battant pour leur territoire de vente et lardant de coups de rasoirs les étrangers suffisamment sots pour s'aventurer dans leur domaine. La région est impitoyable, et la nuit on peut voir, sortant de terre, des golems de pierre qui arpentent les landes en réduisant à l'état de pulpe sanglante toutes les créatures vivantes qu'ils croisent. Les rares villages que l'on traverse sont constitués de quelques maisons serrées les unes contre les autres, comme pour se protéger mutuellement de l'oppressante et invisible menace qui pèse sur elles. Les gens sont farouches, durs comme la pierre qui les entoure, et semblent usés par une vie trop âpre, passée à ramasser des rochers et à les empiler en monticules singuliers, tertres païens surmontés d'autels dédiés à des entités surnaturelles et impies...

A ce moment-là je me suis dit qu'il était temps de faire une pause, parce qu'à force de me faire des films tout seul dans ma tête j'allais commencer à flipper comme un âne. Ça tombait bien car j'arrivai à ce moment-là dans une ville qui allait me changer un peu les idées : Ballina, la ville du saumon (Bali-balo, nana, nana...).

Là en fait je n'ai rien fait parce que ce n'était pas du tout la saison du saumon. Donc j'ai juste bu un café, mais bon, c'était sympa quand même, et j'ai d'ailleurs pu constater qu'il n'y a pas que les touristes qui consomment les petits déjeuners gargantuesques vendus comme typiques, puisqu'un autochtone en a commandé un juste à côté de moi (ça vous la coupe, ça, hein?).

Après cette petite pause bien (im)méritée, je repartis vers mon principal objectif de la journée : Clifden, qui est vanté dans l'inénarrable Guide du Croûtard comme le plus beau village d'Irlande (sic).

Alors comment dire... certes, c'est charmant au demeurant... mais bon, y'a quand même pas de quoi se relever la nuit. C'est un petit village fleuri, réputé pour son saumon (encore) et son crabe. A midi je goûtai ce dernier justement et je dois bien reconnaître que ce n'était pas dégoûtant, bien que n'étant pas un fin connoisseur ès-crustacés je le trouvai tout ce qu'il y a de plus crabesque. Mais je l'admet : c'est meilleur que les bâtonnets Coraya, même si je leur conserve ma préférence en terme de prix et surtout de versatilité (il est par exemple plus facile de mimer un sabre-laser avec un bâtonnet Coraya qu'avec des miettes de crabe, fussent-elles meilleures au goût, vous en conviendrez).

Le gros reproche que je ferai à Clifden, c'est que c'est blindé de monde. Mais pas n'importe quel monde : des Français. Qui se baladent tous avec leur Guide du Croûtard à la main, critiquant à tout va le moindre détail (« C'était pas bon, c'était trop cher, y'a pas de MacDo, ça mériterait un coup de peinture, regarde-moi ça comment c'est fait, en France on aurait fait mieux que ça... », enfin vous voyez le genre). Alors sur le coup je ressentis une angoisse terrible : qu'ils me reconnaissent comme un des leurs et qu'ils rendent réel le pire de mes cauchemars. Oui je l'avoue, j'ai eu peur ce jour-là, mais après tout je ne suis qu'un homme, avec ses craquelures, ses faiblesses et ses craintes irrationnelles. Bien sûr comme souvent le simple fait de craindre une chose la fait se produire et ce qui devait arriver arriva : l'un d'entre eux m'adressa la parole.

Ô jour funeste au cours duquel le bastion de ma raison faillit s'effondrer sous les coups de boutoir d'une médiocrité imbécile, que n'avais-je point suivi mon instinct et fui comme la peste ce haut-lieu de concentration du plus terrible fléau que la Terre ait jamais porté : le touriste! (Attention : ne pas confondre le touriste avec le touiste qui est une danse rythmée plus du tout à la mode mais néanmoins bien préférable à son presque-homonyme – ce jeu de mot cocasse m'est venu suite à une faute de frappe, le hasard fait décidément bien les choses).

Heureusement j'avais eu l'heureux réflexe de cacher mon Guide bien au fond de mon sac à dos, car il aurait bien sûr immédiatement trahi ma condition de Français ce qui aurait immanquablement conduit mon agresseur à m'offrir un Ricard et à aller faire une partie de pétanque, voire même à me montrer sa superbe Clio 16s entièrement préparée, avec jantes alu de 25 pouces et bas-de-caisses lumineux. Je fus également reconnaissant à mon instinct de préservation qui à la question « Vous savez pas où y'a des chiottes publiques dans ce bled de bouseux? » me fit simplement hocher la tête et hausser les épaules en baragouinant quelques syllabes sans signification qui suffirent à convaincre l'australopithèque qui m'infligeait son haleine chargée de bière que je ne comprenait rien à ce qu'il disait, ce qui le conduisit précisément là où je voulais qu'il aille : loin de moi.

Je viens de me rendre compte que je n'avais pas encore parlé du temps en cette cinquième journée, et c'est bien dommage parce qu'il faisait très beau. J'optai donc en guise de suite de programme pour une balade digestive, censée me mener à un point de vue de toute beauté. Pour cela il fallait suivre une route à l'extérieur de Clifden, route qui sinuait en grimpant à flanc de colline pendant trois bons kilomètres (ça je ne l'ai su qu'après). Il est à noter que mon aimable compatriote qui m'avait précédemment gratifié de son élégante conversation me doubla en cours de route, au volant de sa Clio 16s, et que lui et ses compagnons accompagnés de leur amie l'alcool me prodiguèrent moults signes d'encouragement sous la forme de doigts levés et de rires gras (masqués par le boum-boum de l'infâme techno crachée par le haut-parleur de deux mètres de diamètre caché dans le coffre). Je ne les revis jamais, et je me plais à espérer que ces ânes aient enroulé leur voiture autour d'un pylône électrique, ou mieux qu'ils aient battu le record mondial de saut en longueur en voiture du haut d'une falaise. Non en réalité je m'en tape, car même si j'ai un peu honte de l'admettre : j'ai été jeune comme eux (en mieux quand même, je précise).

En tout cas je n'eus jamais le loisir de profiter du superbe panorama vanté sur les brochures : au bout de cinq cent mètres d'ascension me tombèrent dessus sans crier gare environ vingt mille litres d'eau, le tout en moins d'une demi-seconde. Vous vous en doutez, j'avais évidemment paré à cette éventualité en me munissant d'un objet admirable en tout points : un parapluie que j'avais acheté pour l'occasion.

Autant vous dire que je me sentis particulièrement content de moi en l'ouvrant, louant ma prévoyance et me faisant une caresse mentale sur la tête pour me féliciter. J'avais hélas sous-estimé la force du vent qui mit moins de temps pour briser en deux l'objet de ma fierté que je n'en avais mis à le déployer. Pris de panique j'avisai de l'autre côté de la route ce que je crois être des feuilles de rhubarbe (mais je ne suis pas un spécialiste). En tout cas ces feuilles étaient suffisamment larges pour abriter une personne et je trouvai là un abri de fortune qui me protégea d'une fort belle manière des assauts humides de la diabolique pluie irlandaise. Enfin ça aurait été vrai si je n'avais pas été déjà trempé, mais au moins j'évitai l'effet « Tahiti douche » sans Tahiti, tout habillé et surtout sans femme nue à mes côtés.

Après quelques minutes d'attente je me rendis à l'évidence : ça ne s'arrêtait pas. Prenant mon courage à deux mains je décidai alors de repartir sur mes pas, abandonnant la balade digestive (et m'épargnant sans le savoir six kilomètres de marche). A peine avais-je fait dix pas que la pluie s'arrêta aussi soudainement qu'elle avait commencé, et le soleil couplé au vent eurent tôt fait de me sécher. Parfois il y a des signes qu'on ne peut pas ignorer, surtout quand ils ont un long cou, des plumes blanches et un bec orange (cette blagouze n'est pas déposée, vous pouvez donc la réutiliser si vous en avez le courage). Je laissai donc derrière moi la balade de la quenelle et repris ma route vers ma prochaine étape : Galway.

Comme j'arrivai assez tard je pris possession de ma chambre, et m'octroyai une bonne douche bien chaude. Ensuite je partis dans le centre afin de trouver à manger, si possible pas cher.

C'est là que je fis la découverte du Supermac's, ou le presque-MacDo. Dans ce supermarché du fast-food vous avez le choix : vous pouvez manger des pizzas de chez presque-Pizza Hut, des sandwichs de chez presque-Subway et évidemment des hamburgers qui ont presque le même nom qu'au MacDo (dans le genre : Super Chicken, Huge Mac ou Mac Fish). C'était pas très cher, mais c'était pas très bon non plus. Après ça je suis retourné à mon hôtel où je fis les comptes de l'argent qu'il me restait, soit pas grand chose et en tout cas pas assez pour me permettre de faire tout ce que j'avais prévu (bye-bye îles Aran, ce sera pour une prochaine fois, snif). Les prochains jours se passeraient donc sous le signe des économies, un peu comme dans Pékin Express sauf qu'il n'y a absolument aucun rapport.

La tête pleine de chiffres rouges précédés d'un petit trait horizontal je me couchai et savourait les bienfaits d'une nuit passée dans un vrai lit.

Publié dans Bla-bla

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